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Intervention du président Charles Michel au Forum International de Dakar sur la Paix et Sécurité en Afrique

C’est pour moi à la fois un privilège, c’est un honneur et un plaisir, de porter ici la voix de l’Union européenne à l’occasion de ce Forum de Dakar qui, édition après édition, démontre sa valeur ajoutée, démontre son utilité pour échanger, pour s’écouter mutuellement, afin de tenter de bâtir ensemble des convergences politiques, des convergences stratégiques, et de tenter de déployer le meilleur de chacune et de chacun d’entre nous  au service d’un projet et d’un espoir commun, pour la paix, pour la sécurité et pour la stabilité. A fortiori à un moment où le monde est confronté à cette menace du COVID qui nous ébranle, qui bouscule nos repères, et qui nous amène à l’exigence d’agir le plus possible ensemble pour relever ce défi.

J’avais prévu un discours écrit. Mais l’inspiration, au travers des discours précédents, m’amène à faire le choix plutôt de parler avec spontanéité, de parler avec mes sentiments personnels quand je me tiens aujourd’hui devant vous. J’ai été naturellement impressionné une fois encore cher Macky Sall par la puissance et la vision de ton message pour le continent africain, la puissance de ton message global pour le monde. J’ai été bien sûr touché, ému par la sincérité et la force du message exprimé par le président Cyril Ramaphosa, spécialement sur la question du COVID et des vaccins, et bien sûr j’y reviendrai dans quelques instants. Et puis, naturellement, il y a quelques instants, la présentation chirurgicale, lumineuse, extrêmement utile de la crise sécuritaire au Sahel présentée par le président Bazoum. C’est pour cela, je vous le dis, que je suis ici devant vous avec humilité, avec  modestie pour écouter, pour entendre et pour réfléchir avec vous afin que cette action commune portée par l’Afrique, portée par l’Europe puisse être utile pour la stabilité, pour nos peuples, mais également pour l’avenir du monde.

Ce n’est pas un secret, et cela a été d’ailleurs évoqué, nous avons, leaders africains et leaders européens, l’ambition de nous retrouver à Bruxelles pour le prochain sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne, après le sommet d’Abidjan. Et beaucoup de choses se sont passées dans le monde depuis ce sommet d’Abidjan. Je voudrais partager avec vous l’espoir, et formuler peut-être quelques idées, quelques réflexions à l’approche de ce moment qui, j’espère, sera un moment différent, un moment qui pourra donner un élan, donner une impulsion, avec cette idée portée par de plus en plus d’amis africains et d’amis européens, cette idée d’une  Nouvelle Alliance Afrique-Europe. D’un nouvel engagement bâti autour, je vous en soumets la proposition, d’un double pacte : un pacte pour la prospérité, un pacte pour le développement inclusif – un pacte pour connecter cette zone de libre échange continental avec le marché intérieur d’avantage pour plus de bénéfices partagés. Mais également bien sûr, cela va de pair, un pacte pour la sécurité, un pacte pour la stabilité.

Avant de revenir à ce pacte et ces engagements sur la substance, il me semble qu’il est utile en préparation de ce sommet de décrire dans le respect mutuel quels devraient être les principes fondateurs pour ce changement de logiciel que j’espère plutôt radical pour ce qui me concerne. Parce que je pense qu’il faut effectivement, dans ce moment de notre histoire, changer le paradigme de ce partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne.

Le premier principe, et Macky Sall l’a décrit une fois encore à la tribune des Nations unies avec des mots justes. Et Macky, je te cite de mémoire sur ce que tu disais à la tribune des Nations unies: “Je me tiens devant vous, moi, leader africain, et je vous dis que l’avenir devra mieux prendre en compte le respect de nos différences. Mieux considérer que la diversité, c’est une force, ce n’est pas une faiblesse.” Cet engagement pour la coopération, pour le respect des partenaires égaux – pas simplement dans le discours mais aussi dans la réalité du comportement et dans la réalité de l’action – c’est le premier élément qui devrait je le crois fonder cette Nouvelle Alliance entre l’Afrique et l’Europe.

Le deuxième élément, qui doit nous retrouver et nous rassembler parce que nous partageons, j’en suis totalement convaincu, cet ADN, c’est le respect pour la dignité personnelle et pour la dignité humaine, pour les libertés et pour la solidarité. Nous avons, nous aussi, Européens, à apprendre beaucoup du reste du monde et de vous, les Africains. Cette philosophie Ubuntu, qui décrit ce lien indestructible qui rassemble les femmes et les hommes d’où qu’ils viennent, où qu’ils soient, est certainement cette traduction de la solidarité qui pourrait être un élément central, je l’espère en tout cas, pour ce projet tourné vers l’avenir et pour cette Nouvelle Alliance entre l’Europe et l’Afrique.

Il y a un troisième élément que nous devons absolument prendre en considération: c’est le souci d’effectivité. Souvent, il est arrivé dans le passé que, la main sur le cœur, très généreux, on dise ce que l’on doit faire ou ce que l’on devrait faire, sans le faire dans les mois ou les années qui suivent. Cette effectivité, ce sera un encouragement pour nous tous. Cette effectivité doit supposer que nous soyons prêts, Européens comme Africains, à faire le monitoring, à faire l’évaluation, à voir quand on s’engage quelques mois plus tard, quel a été le chemin accompli? Qu’est-ce qui a été réalisé? Qu’est-ce qui n’a pas encore été réalisé? Comment on corrige? Comment on donne les impulsions? Comment on traduit cette volonté politique inébranlable pour faire en sorte que des résultats tangibles puissent être ressentis par nos populations respectives?

J’en viens maintenant à ces deux pactes que je souhaite proposer pour animer nos discussions et nos échanges. D’abord, le partenariat entre l’Afrique et l’Europe suppose, je le crois, le partage et l’échange dans un moment où, nous le voyons bien, le monde est confronté à une double transition. Pendant des années, une partie du monde a cru pouvoir développer et améliorer les cadres de vie en exploitant de manière extrême nos ressources naturelles. Et nous voyons bien – nous étions nombreux à nous rassembler à la COP26 – que ce modèle arrive à une limite. On doit donc courageusement, dans le cadre de la coopération internationale, se poser la question de la manière dont on va développer ce nouveau logiciel économique et social pour l’avenir. Et dans ce cadre-là, évidemment nous devons être effectifs, pragmatiques et concrets, et envisager aussi les transitions qui vont être nécessaires afin de faire en sorte que chacune et chacun, sans laisser personne au bord du chemin, puisse être pleinement partie prenante à cette société nouvelle qui prend en considération le changement climatique non seulement comme un défi, mais aussi comme une opportunité pour innover et revoir des modèles de développement et de cohésion sociale.

Et puis, il y a cette transition digitale qui amène, on le ressent bien, de la désinformation et des nouvelles menaces hybrides – ces attaques qui peuvent déstabiliser et auxquelles nous n’étions pas, jusqu’il y a quelques années, habitués. On voit bien aussi là que ce que l’on appelle le “big data”, les ressources digitales, seront probablement une des principales ressources économiques pour ce siècle. La manière d’utiliser ces ressources doit nous mobiliser. Pour ne pas commettre l’erreur qui a été commise dans le domaine climatique, c’est-à-dire pour ne pas abuser de ces ressources digitales en niant la liberté, la vie privée et la liberté personnelle de chacun de nos citoyens. Là aussi il y a un espace pour travailler ensemble, pour échanger, pour s’écouter, et pour bâtir des espaces de confiance afin de créer les conditions pour cette capacité d’innovation, d’emplois, de prospérité, d’amélioration des conditions de vie.

Macky Sall a parfaitement décrit, et j’ai eu souvent l’occasion – c’est un privilège – d’en parler avec vous, Monsieur le président, comment la question du financement du développement va devoir être au cœur de nos débats. On va devoir, sans aucun tabou, examiner la capacité de mobiliser des moyens. C’est ce que l’on a commencé à faire depuis le mois de mai et cette réunion à Paris, organisée par le président Macron, avec les droits de tirage spéciaux. Des premiers progrès significatifs ont été enregistrés, on doit continuer. C’est ce que l’on doit faire aussi avec la question des dettes, qui représentent de réels boulets budgétaires pour les pays africains. Comment peut-on agir afin qu’il y ait une capacité de donner de l’oxygène financier et budgétaire pour relever les défis de la prospérité, les défis sociaux et les défis sécuritaires? C’est ce que l’on doit faire aussi en essayant de stimuler le partenariat entre les secteurs public et privé, créer de l’attractivité et de la sécurité juridique, ainsi que de la stabilité. Tout cela doit faire en sorte que l’on puisse canaliser les moyens vers l’économie réelle, vers des produits pouvant être réellement porteurs et conformes aux priorités des leaders africains. C’est de cette manière-là que je souhaite envisager, chers amis, la préparation de ce sommet.

Je partage évidemment le soutien qui a été exprimé à des débats, qui ont démarré il y a plusieurs années en Europe, sur la question de la justice fiscale internationale et les progrès enregistrés dans le cadre de l’OCDE sur ce point à la suite de l’action de l’Union européenne, des États-Unis et d’autres partenaires, certainement les partenaires africains, très engagés depuis longtemps pour plus d’équité et pour un monde plus juste sur ce sujet.

Chers amis, chers collègues, j’en viens maintenant à la question de la sécurité. Parce que nous le savons bien: nous pouvons avoir les plus beaux projets et les plus belles ambitions pour la prospérité et le développement économique, là où il n’y a pas de sécurité, le terreau est peu propice pour permettre de concrétiser les projets. Je partage aussi à cet égard les points qui ont été exprimés, avec la nécessité de mieux connecter nos architectures de sécurité africaines et européennes. Nous sommes forts de l’expérience des dernières années car l’Union européenne, avec nos États membres, a été présente en soutien et en coopération sur le terrain sécuritaire dans la région du Sahel, plus récemment au Mozambique, et depuis plus longtemps dans la Corne de l’Afrique. Je forme le vœu, peut-être pourra-t-on y revenir dans le cadre de ce sommet et de ces rencontres, que l’on puisse voir de quelle manière nous, en tant qu’Union européenne et avec nos États membres, pouvons mettre à disposition des instruments flexibles, rapides et efficaces, que l’on pourrait déployer dans le cadre de ce dialogue politique indispensable, fait de respect mutuel entre leaders africains et européens, en prenant en compte sérieusement l’ensemble de la chaîne, en prenant en compte aussi les leçons apprises ces dernières années, notamment à la suite de ce qui s’est passé en Libye et des conséquences pour cette région du Sahel. Prendre en compte l’ensemble de la chaîne, c’est agir pour prévenir les conflits. Agir aussi pour faire en sorte qu’il y ait des conflits qui ne deviennent pas plus graves, mais qu’on puisse modérer la situation autant qu’il est possible. Agir pour résoudre les conflits par le travail politique et de médiation, et par l’engagement militaire qui parfois est nécessaire. Il est important d’agir aussi et de tirer des leçons une fois que l’on voit les premiers résultats des bénéfices de la paix, pour veiller à ce que la consolidation et le caractère durable de cette paix puissent devenir une réalité au service des populations.

Voilà, mes très chers amis, les quelques messages que je souhaitais partager avec vous, et mon ambition personnelle, mon espoir aussi, que ce sommet du mois de février puisse être une occasion de faire un pas en avant, en regardant ensemble dans la direction et en portant la même ambition. Évidemment, je ne peux pas me trouver à cette tribune devant vous et ne pas, cher Cyril Ramaphosa, partager avec vous quelques réflexions en lien avec cette crise qui nous frappe de manière immédiate et imminente, le COVID-19. Je voudrais encore une fois vous exprimer mon humilité et ma modestie. Parce que je pense que cette crise mondiale doit nous amener chacune et chacun à être modeste: nous avons appris au fur et à mesure.

Je voudrais dresser le portrait de la manière dont l’Union européenne a tenté, depuis le début de cette crise, d’agir, probablement parfois en commettant des erreurs — c’est possible — mais avec une sincère volonté de porter des décisions qui soient favorables, pour que l’on puisse ensemble, sur le plan mondial, relever ce défi et vaincre cette crise qui nous frappe.

D’une part, l’Union européenne, depuis le jour numéro un de cette crise, a été une des grandes régions dans le monde, parmi les seules qui produisent des vaccins, qui a décidé de maintenir massivement les exportations de vaccins, lorsque d’autres grandes régions dans le monde, qui ont des traditions d’exportation et de production de vaccins, avaient fait d’autres choix. En clair, cher président Ramaphosa, au début de cette crise, les populations européennes étaient critiques envers les leaders européens, parce qu’autour de 50 % des doses produites sur le sol de l’Union européenne étaient exportées, là où d’autres pays gardaient et thésaurisaient les doses de vaccins pour leurs propres populations.

Deuxième élément: l’Union européenne a été une des premières entités politiques à se mobiliser pour porter le financement de COVAX, faire en sorte que l’on considère que personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité. Je reconnais — nous reconnaissons toutes et tous — et nous en parlons beaucoup avec les collègues africains, qu’il y a aujourd’hui avec COVAX un instrument qui est utile et positif. Mais il y a des choses à corriger: on voit bien qu’il y a des entonnoirs, des freins, des difficultés que l’on doit identifier ensemble. Aujourd’hui, je tends la main à tous nos amis africains pour qu’on travaille ensemble afin d’identifier les freins, qui entraînent des retards, pour fluidifier davantage la capacité de délivrer effectivement des doses au travers de COVAX. Et puis, il y a les donations bilatérales. L’Union européenne s’est engagée, j’en fais ici une fois encore  la promesse, à mobiliser, nous l’avons dit au sein du G7, 500 millions de doses avant la moitié de 2022. Je peux vous annoncer qu’avant la fin de cette année-ci, pour l’ensemble des pays en dehors de l’Union européenne, 250 millions de doses seront effectivement délivrées au départ de l’Union européenne.

Il y a encore deux points que je voudrais souligner sur ce sujet. Nous avons très vite eu l’occasion, confrontés à cette crise du COVID, en contact avec nos amis africains, de constater en regardant la carte du monde qu’il y a, sur le continent africain, une faiblesse et une fragilité structurelle: l’absence ou les limitations de capacités de production pharmaceutique et de vaccins. C’est un constat que nous avons dressé dans la franchise et dans le respect mutuel. Des discours ont été exprimés par rapport à cela; parfois en dehors de l’Union européenne, certains ont fait des discours très spectaculaires, en annonçant dans un claquement de doigts la libéralisation des propriétés intellectuelles. Et puis, pas grand-chose ne s’est produit. L’Union européenne, qu’a-t-elle fait? Elle s’est engagée avec des pays tels que l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Rwanda — nous sommes en contact avec le Ghana également — et quelques autres, qui ont d’ores et déjà des capacités pour accélérer de manière opérationnelle concrète la production de vaccins. Moi, je suis très fier d’être dans un pays, le Sénégal, où en quelques mois, grâce à l’Institut Pasteur et aux partenariats innovants, à la volonté politique, on sera en mesure ici très rapidement de produire des capacités vaccinales. Merci Macky Sall!

Je voudrais enfin, sur ce sujet, remercier aussi les amis africains qui ont soutenu très rapidement l’idée que j’avais eu le privilège de lancer il y a un peu moins d’un an. C’est rare, sur le plan multilatéral et international, qu’en moins d’un an, la proposition de négocier un traité pour prévenir les pandémies et pour être mieux préparés à l’avenir puisse faire l’objet, au sein de l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale de la Santé, d’une décision, prise à l’unanimité, de démarrer ces négociations. Parce que cette décision, prise il y a une dizaine de jours à l’Assemblée générale de la Santé, montre de manière éclatante et extrêmement nette les difficultés que l’on vit aujourd’hui, y compris les difficultés en termes de discrimination vaccinale que l’on doit corriger, les difficultés en termes de mobilité et les questions de transports qui ont été évoquées ici.

Nous avons aussi des tensions à l’intérieur de l’Union européenne sur ces sujets-là. Il y a des tensions entre les grandes régions dans le monde, parce que beaucoup de grandes régions ont pris des décisions à différents moments de la pandémie pour interdire, ou bien réduire, les capacités de transport. Moi, je forme le vœu que ce traité, à l’avenir, mette de l’ordre, de la méthode, de la science, de l’objectivité, afin d’empêcher les discriminations en la matière.

Alors, Mesdames et Messieurs, je conclus, et vous me pardonnerez, je l’espère, d’avoir peut-être été un peu plus long que je ne l’avais souhaité initialement, en vous disant que je me tiens devant vous aujourd’hui avec une sincérité chevillée au corps, avec un espoir, avec le souhait d’écouter et d’entendre,  et avec le souhait que notre génération, africaine et européenne — qui porte une grande responsabilité pour dessiner le contour d’un monde meilleur, de cet espace Afrique-Europe qui nous englobe et qui nous dépasse — soit à la hauteur du moment et de l’enjeu. Vous pouvez en tout cas compter sur ma détermination et la détermination de l’Union européenne. Je vous remercie.

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